L’image est implacable : des murs fissurés, des maisons éventrées, des quartiers entiers réduits à des carcasses de béton. C’est le visage actuel du bas de Delmas, de Solino et des zones environnantes. Et pourtant, dans ce décor apocalyptique, les groupes armés appellent la population à revenir vivre dans leurs quartiers.
Mais à quoi rime une telle injonction ? Comment demander à des familles de rentrer dans un espace qui n’existe plus, où la vie a été systématiquement anéantie ? Cet appel soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
L’hypothèse du bouclier humain
La première lecture possible est militaire. Ramener la population dans ces zones dévastées pourrait servir de protection contre d’éventuelles attaques par drones ou par des forces spéciales. Dans cette logique, les civils ne seraient pas considérés comme des citoyens à protéger, mais comme de simples boucliers humains. Une instrumentalisation brutale de la misère.
L’hypothèse du deal politique
Une deuxième piste renvoie à la conjoncture nationale. Alors que l’idée d’organiser des élections est mise en avant par certains acteurs, la réapparition de populations dans ces quartiers donnerait une illusion de stabilité et de normalité. Ce retour « organisé » pourrait devenir un outil stratégique pour des forces politiques cherchant à présenter un semblant de contrôle du territoire.
L’hypothèse de la mission accomplie
Enfin, une troisième hypothèse mérite d’être posée : et si les objectifs des groupes armés avaient déjà été atteints ? Intimidation, déplacement massif, destruction d’un tissu social gênant pour certains agendas… Le « boss » aurait-il demandé à ses hommes de relâcher la pression, désormais convaincu que la mission était accomplie ?
Une constante : la population sacrifiée
Derrière ces hypothèses, une certitude demeure : encore une fois, c’est la population qui paie le prix fort. Ces familles déjà déplacées, traumatisées et ruinées ne peuvent pas être ramenées dans leurs quartiers sans un minimum de sécurité, de reconstruction et de garanties sociales. Or, rien de tout cela n’existe aujourd’hui.
On ne bâtit pas la paix sur des ruines fumantes. On ne construit pas la stabilité sur la peur. Et on ne peut pas demander à un peuple de « retourner chez lui » quand ce « chez lui » n’est plus qu’un champ de décombres.
Cet appel au retour est donc révélateur d’une logique de cynisme : soit un calcul militaire, soit un deal politique, soit la preuve qu’un objectif de domination a été atteint. Dans tous les cas, il traduit une réalité crue : la vie humaine est encore et toujours considérée comme une variable d’ajustement.
Les images le montrent sans détour : il n’y a rien à quoi revenir. Et tant que l’État n’assume pas son rôle de garant de la sécurité et de la dignité de ses citoyens, tout appel au retour restera une manipulation.
Revenir dans les ruines, c’est accepter la défaite de l’humanité.
Jean Junior Remy
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