« Vertières pour moi est une mémoire pour tous, une inspiration pour demain »
September 14, 2025

Je parle de ce que je ressens. Ce n’est pas une vérité absolue, mais c’est mon constat, mon émotion. J’entends et accepte les critiques, d’un côté comme de l’autre. Des voix de la communauté d’accueil s’interrogent, certaines voix de la collectivité haïtianno-québécoise expriment leur désaccord. Je ne nie pas ces divergences. Mais devant ce geste — une station de métro nommée Vertières — je sens monter en moi une force qui m’oblige à parler.

Car l’esprit de Vertières ne s’est pas formé dans un instant isolé. Bien avant 1803, il habitait déjà nos ancêtres. En 1779, plus de cinq cents volontaires du bataillon des Chasseurs Volontaires de Saint-Domingue s’embarquèrent pour la Géorgie et participèrent à la bataille de Savannah. Ils mêlèrent leur sang à celui des insurgés américains, et la colonie contribua aussi par des sommes substantielles à la cause de l’indépendance des États-Unis. Ce geste, souvent oublié, portait une valeur symbolique immense : avant même de gagner leur propre liberté, les Haïtiens avaient déjà donné pour celle des autres.


Puis vint Vertières, le 18 novembre 1803. Ce matin-là, les chaînes ont cédé. Une armée d’anciens esclaves, portés par la rage de vivre et la dignité retrouvée, affronta Napoléon. Et l’impossible advint : la victoire des plus petits contre les plus puissants. De cette victoire naquit Haïti, première république noire indépendante, proclamée en janvier 1804. Vertières ne fut pas seulement une bataille. Elle fut un cri, un souffle universel : plus jamais l’esclavage, plus jamais l’abaissement de l’homme par l’homme.


Et ce cri, le monde entier l’entendit. En Grèce, Haïti fut le premier État à reconnaître officiellement leur guerre d’indépendance en 1822. En Amérique latine, c’est à Haïti que Bolívar trouva refuge et reçut des armes, des navires et du soutien, à la condition qu’il abolisse l’esclavage dans les territoires libérés. De là naquit la Grande Colombie, berceau de nations comme le Venezuela, la Colombie, le Panama, l’Équateur et la Bolivie. Ce geste d’Haïti fut fondateur pour des millions d’hommes et de femmes sur un continent entier. Et plus tard, en 1947, à l’ONU, Haïti se retrouva encore du côté de l’histoire en votant pour la création d’Israël, rappelant sa vocation de porter les causes de liberté, même loin de ses rivages.


Et près d’un siècle et demi après Vertières, Haïti osa encore surprendre le monde. En 1949, Port-au-Prince accueillit l’Exposition internationale du bicentenaire, reconnue par le Bureau International des Expositions. Pendant six mois, la petite république attira près de 250 000 visiteurs, fit ériger plus de 50 pavillons internationaux, dont ceux des États-Unis, de la France, de l’Espagne, de Cuba et de plusieurs autres nations. Ce fut un moment de dignité nationale, l’équivalent de ce qu’Expo 67 représenta pour Montréal : une proclamation que même une petite nation, libre de son destin, pouvait convoquer le monde et se tenir debout devant lui.


Et aujourd’hui, Montréal inscrit ce nom, Vertières, dans son métro. Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas un geste anodin. C’est une reconnaissance. Une main tendue qui dit : cette histoire est aussi la nôtre. Je ne peux pas voir ça autrement que comme un moment de fierté. Pas seulement pour les Haïtiens. Pour tous ceux qui croient à la liberté, à la dignité, à la solidarité.


C’est pour cela que j’ai mal quand je vois nos débats se transformer en guerres internes, en critiques qui détruisent. Je comprends le droit à la dissension, mais je refuse que notre énergie se perde dans l’autoflagellation. Parce que je rêve de cette énergie ailleurs : dans nos écoles, dans nos quartiers, dans nos solidarités.


Vertières n’est pas figée dans 1803. Elle vit aujourd’hui, ici. Elle vit dans chaque combat pour la dignité. Elle vit dans chaque main tendue, chaque pas vers plus d’égalité. Moi, je choisis d’y voir une lumière. Moi, je choisis d’y voir une main tendue. Moi, je choisis de fêter ce moment. Pas parce que tout est accompli, pas parce que je ferme les yeux sur nos blessures. Mais parce que cette étincelle mérite d’être entretenue.


Alors je ne commande rien à personne. Je partage seulement mon choix : célébrer, remercier et tendre la main. Parce que Montréal a écrit Vertières dans ses murs. Parce qu’Haïti, dans son histoire, a déjà montré que les plus petits peuvent inspirer les plus grands. Et parce que nous avons, chacun à notre manière, le pouvoir d’écrire Vertières dans nos vies.


Neil Armand

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